Petit rite entre amies : offrir sa lingerie fine à Artémis
Découvrez, dans cette série d'articles "petits rites entre amies" les rites réalisés par les femmes de la Grèce antique et retrouvez-les, actualisés, dans le guide pratique Petits rites entre amies, inspirés de la Grèce antique qui en donne des possibilités d'applications actuelles au travers d'actes symboliques adaptés à notre époque, dans une perspective de thérapie, de connaissance de soi, de soin de soi.
Pour ne rien vous cacher, il s’agit là d’un de mes rites préférés pour son côté tout joli et aussi pour ses étonnants prolongements jusqu’à aujourd’hui, comme vous allez le découvrir au sein de cet article.
Les sources
Il n’existe pas, dans la Grèce antique, de traité de ritologie qui puisse nous informer directement des rituels que les femmes pratiquaient à cette époque. Les sources sont indirectes et relativement dispersées, et il m’a fallu de nombreuses années afin de pouvoir reconstituer, comme rassemblant les différents éléments éclatés d’un puzzle, une image cohérente de ces rites. L’épigraphie, qui regroupe les inscriptions écrites sur des matières non dégradables, est un champ d’investigation particulièrement intéressant : bon nombre d’offrandes consacrées lors des rites étaient, en effet, putrescibles, et ont disparu par l’effet du temps. Impossible donc d’en retrouver des vestiges lors des fouilles archéologiques des sanctuaires où ces rites se déroulaient. En revanche, l’on inventoriait régulièrement les objets qui y étaient consacrés en les enregistrant sur pierre, et, par chance, certaines de ces inscriptions ont été mises au jour dans un état assez correct pour être déchiffrées. Du coup, il devient possible de croiser ces renseignements avec ceux que l’on peut lire dans la littérature, notamment dans les épigrammes votives de l’Anthologie Palatine, courts poèmes qui racontent des petites histoires d’ex-voto. Et parmi ces offrandes figurent des sous-vêtements …
Offrir ses sous-vêtements
Dans les inventaires d’offrandes des grands sanctuaires féminins consacrés à Artémis ainsi que dans bon nombre d’épigrammes votives de l’Anthologie Palatine, apparaissent des zônai et des mitrai. Si la racine de ce dernier terme est obscure, celle du premier est très claire : elle se rattache au verbe zônnumi qui signifie "ceindre", ce qui conduit à le traduire habituellement par « ceinture » ; or, alors que, pour nous, une « ceinture » est un accessoire se plaçant sur le vêtement, les textes indiquent clairement que la zônè comme la mitra, et d’autres tissus d’appellations diverses, se portent à même la peau, et désignent donc des sous-vêtements-bandeaux dont on se ceint le ventre, les hanches ainsi que les seins. Et, attention, contrairement à ce que l’on a pu penser, ces bandelettes de tissu n’étaient pas brutes et grossières ; les sources en soulignent la finesse, l’élégance, parfois même la transparence, et le côté ouvragé et soigné, certaines étant ainsi ornées de petites franges.
Pour quoi et pour qui ?
On consacre ces tissus qui touchent le corps, l’entourent et le soutiennent avec amour, principalement à deux occasions : avant de s’adonner aux premières relations intimes, et au moment qui entoure l’accouchement d’un enfant, c’est-à-dire deux circonstances où, en effet, d’un point de vue pratique, il est bienvenu de les ôter. Mais, dessous, si je puis dire, réside une sens symbolique puissant : celui d’ouvrir et de fermer, qui apparaît également dans d’autres rituels pratiqués lors de la grossesse, où il est essentiel que la matrice soit bien « fermée » et contenue, soutenue, afin d’éviter les fausses-couches ou accouchements prématurés (notamment avec ces fameux bandeaux ventraux) et aussi qu’elle s’ouvre à point nommé pour donner le jour à un bébé bien vivant bénéficiant d’une mère bien vivante elle aussi. Quand tout se passe bien, on dédie alors ces « ceintures » à Artémis, invoquée sous le nom Lusizônos, qui signifie « celle qui détache/dénoue/dégrafe » les sous-vêtements.
Deux exemples
Le rite d’Euphranté (épigramme VI, 201 de l’Anthologie Palatine)
« Des sandales, un tout joli bandeau (mitra), la boucle toute parfumée, frisotée, de ses beaux cheveux, une zônè, ce léger sous-vêtement de dessous sa tunique et le ravissant soutien-gorge qui lui entourait la poitrine : après avoir vécu un heureux accouchement, en délivrant un bébé de bon poids de son ventre, c’est ce qu’Euphranté a consacré dans le temple d’Artémis »
Proverbe (Apostolius X, 96)
« Femme à la culotte dénouée : se dit des célibataires qui vont pour la première fois fréquenter un homme : les célibataires qui sont sur le point de s’accoupler consacrent, en effet, leur culotte de célibataires à Artémis ».
Artémis Lusizônos
Vous pensiez peut-être qu’Artémis était une divinité de la chasteté et de la virginité, pas du tout concernée donc par la sexualité et la création d’enfants ? Bien au contraire, cette déesse est l’Accoucheuse par excellence : à peine sortie du ventre de sa mère Léto, c’est elle-même qui l’aida à mettre au monde son jumeau Apollon ! Grande déesse kourotrophe, c’est elle qui protège la « croissance des jeunes » et préside aux rites de passage.
Passage est précisément le terme qui convient le mieux pour les deux occasions en question : pour s’accoupler comme pour accoucher, il convient/il est même vital de s’ouvrir, au bon moment, pour laisser passer en soi ce qui y pénètre ou ce qui en sort ; et ces passages vécus corporellement sont aussi des passages à une autre étape de la vie (vie de femme sexuée, vie de mère). À ces moments charnières de l’existence, ce genre de rite permet de laisser derrière soi sa vie passée et de s’ouvrir aussi à un autre présent.
À présent justement…
Par le plus grand des hasards, j’ai retrouvé des traces de ce rituel à Quintin, une petite ville des Côtes d'Armor : dans sa Basilique est gardée une relique de la zônè de la Vierge Marie. C’est le terme latin zona qui est utilisé ; il est traduit par « ceinture », mais vous avez compris qu’il s’agit plutôt d’une culotte ou bandage ventral – vous avez compris également que je ne suis pas en train d’insulter la Vierge Marie, porter une culotte, ou pas d’ailleurs, ne constituant pas une insulte pour moi.
L’histoire de cette zônè : elle fut rapportée de Terre Sainte au milieu du XIIIè siècle par le Seigneur de Quintin de l'époque, Geoffroy Botherel, qui, présume-t-on, l'avait reçue du Patriarche de Jérusalem, Robert de Saintonge, Évêque de Nantes. Traversant miraculeusement les siècles, survivant notamment au terrible incendie de 1600 qui ravagea l'intégralité de la collégiale où elle se trouvait sans la brûler, la relique de la « Ceinture » de la Vierge Marie est actuellement un modeste bout de tissu de lin gris, de maille assez grosse, d'une longueur de 8 centimètres et de largeur sensiblement moindre. Elle est conservée dans un médaillon d'or et de pierres précieuses, et, depuis un certain temps déjà, il est interdit de la toucher : en 1641, le roi Louis XIII dut intervenir en personne et exiger qu'"elle soit gardée avec le respect et l'honneur qui lui sont dus", tant elle était victime de son succès. Portée par les femmes enceintes, elle les protège des dangers de la grossesse et favorise un heureux accouchement. Afin de préserver la relique tout en permettant aux fidèles de bénéficier de ses pouvoirs, on mit à son contact de grands rubans, par le fait bénits et chargés de la puissance de l'original. Paul Claudel lui-même connaissait bien les vertus de ces rubans utilisés par les femmes de sa famille. Aussi les conseilla-t-il à son ami Jacques Rivière, qui venait de lui annoncer la grossesse de sa femme : "Je suis ému de la nouvelle que vous me donnez. Que Dieu et Notre-Dame protègent votre chère jeune femme ! Dans ma famille, toutes les femmes dans cette position demandent un ruban bénit dans un vieux couvent de Bretagne dont je puis vous donner l'adresse et jamais elles n'ont eu d'accidents...".
Et, encore à présent, et même en ligne sur son site internet, le presbytère de Quintin vend à un tarif de quelques euros ces rubans "Notre-Dame de Délivrance" aux fidèles désireuses de se sentir protégées par la Vierge pendant leur grossesse jusqu'à leur accouchement ; si vous vous demandez « si ça marche », vous pouvez lire des témoignages sur le site !
Efficacité pratique du rite
Et ce n’est pas étonnant. En effet, de même qu’un mythe est un langage symbolique qui parle à l’inconscient – et les publicitaires et industries cinématographiques le savent bien –, un rite fonctionne avec un langage symbolique acté, les gestes constituant comme les mots d’une phrase, qui, placés chacun à leur place, forment un sens qui parle donc à notre inconscient. De même que la force du mythe réside dans sa mémoire, la force du rite réside également dans sa mémoire. Autrement dit, acter des gestes rituels très anciens, effectués donc par des milliers de femmes qui nous ont précédées, est très puissant. C’est la raison pour laquelle bon nombre de thérapeutes qui utilisent des actes symboliques constatent l’efficacité de tels rites qui puisent la sève de leur sens dans les profondes racines de notre mémoire collective…
Odile Tresch
Afin que ces informations soient accessibles au plus grand nombre, elles sont transmises avec simplicité ; elles n’en sont pas moins très sérieuses et résultent d’un travail important et original. Merci, donc, de le respecter en citant son origine si vous en citez des extraits ou en utilisez le fond (suivez les indications de la page d'accueil).